7 mai 2009 4 07 /05 /mai /2009 14:35

Tribune de Martine Aubry parue dans Le Monde du 7 mai 2009


Vous avez souhaité interpeller les socialistes sur le projet de loi Hadopi actuellement en discussion à l'Assemblée nationale, en faisant explicitement référence à des convictions et à des valeurs qui nous sont communes. Vous êtes confrontés à une réalité dure que je connais : quel devenir pour le droit d'auteur à l'époque d'Internet? Comment financer la création en France en toute indépendance ? Comment soutenir les artistes et notamment les plus jeunes au moment où les pratiques des publics changent et où le pouvoir d'achat est en baisse? Tout cela, je le sais, et je comprends vos inquiétudes et vos angoisses.

 
Mais c'est justement au nom de ces convictions et de ces valeurs, qui sont celles de la gauche, que nous nous opposons à un texte qui retarde une nouvelle fois l'urgente adaptation du droit d'auteur à l'ère numérique.

Depuis toujours, le Parti socialiste est aux côtés des artistes. Il l'a montré ces dernières années, lors du conflit des intermittents du spectacle – j'y ai d'ailleurs pris ma part comme ministre du travail – ou en s'opposant depuis sept ans à ce que le ministère de la culture devienne le parent pauvre de la République. Sept ans où l'on a sabré les crédits de la création, étouffé l'éducation artistique, dépouillé l'audiovisuel public des ressources complémentaires de la publicité qui l'aidaient à soutenir la production cinématographique, imposé une taxe compensatoire aux fournisseurs d'accès qui aurait justement pu servir à la rémunération des auteurs.

En cela, les socialistes ont été à l'avant-garde pour dénoncer la remise en cause d'un modèle culturel qui a été longtemps un objet de consensus dans notre pays.

En nous opposant à Hadopi, nous nous inscrivons dans la droite ligne de la loi votée à l'unanimité par le Parlement en 1985 qui, en s'abstenant de sanctionner les usages d'alors, avait créé une nouvelle rémunération pour la création : la redevance pour copie privée sur les CD vierges. C'est un défi identique qu'il est nécessaire de relever aujourd'hui au regard des nouvelles technologies, et nous regrettons que le projet de loi Hadopi soit une occasion manquée, et d'ores et déjà un pari perdu d'avance.

Nous considérons que ce texte est perdant-perdant : perdant pour les internautes sur lesquels va désormais peser une présomption de culpabilité; perdant pour les artistes, puisque le projet de loi ne rapportera pas 1euro de plus à la création.

Ce texte instaure en effet un dispositif répressif disproportionné qui n'offrira, à aucun moment, les garanties qui sont celles d'une procédure judiciaire : absence de procédure contradictoire, non-prise en compte de la présomption d'innocence, non-respect du principe de l'imputabilité, possibilité de cumuler sanction administrative, sanction pénale et sanction financière… Force est de constater que la France est le seul pays à s'engager dans une telle voie, la Grande-Bretagne et l'Allemagne y ayant renoncé.

En s'opposant à ce texte aussi inutile qu'inefficace, les socialistes ont souhaité proposer des solutions alternatives afin que les artistes ne subissent pas cette transition et en soient plutôt les acteurs vigilants. Il est urgent d'agir : l'Internet doit financer la création culturelle. Les opérateurs des télécoms, les fournisseurs d'accès à Internet ont fondé une part de leur développement sur les échanges d'œuvres, sans contrepartie.

Cela n'est pas compatible avec une juste rémunération des droits d'auteur. C'est pourquoi nous voulons une nouvelle régulation créant un mode de rémunération adapté aux réalités de l'Internet, mais permettant aussi l'accès du plus grand nombre à la culture : ce sont deux objectifs de gauche qui doivent être poursuivis ensemble et non opposés.

Dans cette démarche, le Parti socialiste a le souci majeur de rassembler les créateurs et les internautes, c'est-à-dire les artistes et leur public.

Nous qui croyons en la force de la raison, à l'importance du dialogue dans une démocratie, à la force du débat, si important pour ceux qui défendent la culture et les idées, nous devons nous rencontrer, pour discuter, pour nous comprendre, et j'espère pour nous retrouver. Pour cela, je vous réitère notre invitation.

Martine Aubry, première secrétaire du PS

 

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commentaires

W
1- D’un côté, nous avons une industrie culturelle déclinante n’assumant pas le proxénétisme économique et la pandémie infantilisante qu’elle exerce sous le regard de son débiteur. Celui-ci est à la fois une fondation philanthrope de gestion nationale et une entreprise d’import/export.<br /> 2- De l’autre côté, nous avons une infinité de niches de population n’ayant rien à voir les unes avec les autres, mais faisant front par principe de précaution. Nous prouvant par la même occasion à quel niveau de léthargie se trouvent nos sociétés occidentales pour qu’un luxe devienne une lutte nécessaire.<br /> 3- Au centre, se trouve le gros du troupeau qui n’a pas d’avis et fait preuve d’intelligence situationniste ou d’indifférence banale sur ce combat qui est à la fois d’avant-garde et d’arrière-cour.<br /> 4- Dans toutes les batailles, il y a des pertes acceptables. Mais comme nous ne prenons plus plaisir à nous salir les mains avec une de ces barbaries ancestrales, les invectives servent de nos jours de courroux médiatique ou de Hit Combo virtuel pour le bonheur des voyeurs générationnels et des lâches éternels.<br /> 5- Quand on pratique l’affrontement constant ou la paix commémorative pour occuper son temps, c’est que l’on est plus en mouvement. Alors la guerre civile des flux a-t-elle un sens ?<br /> La suite ici :<br /> http://souklaye.wordpress.com/2009/03/13/creation-internet-et-insultes-gratuites/
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G
<br /> J'avoue que j'ai un peu de mal à savoir où vous voulez en venir...<br /> <br /> <br />