J'étais ce matin aux côtés de 400 professionnels, pour un grand colloque intitulé "les 20 ans de l'accès au droit et demain ?". Chefs de cour venus de toute la France, responsable associatifs, représentants du barreau, institutions, État...
tous étaient là pour dire l'importance, dans notre société, que chacune et chacun puisse accéder au droit.
J'ai eu l'honneur de prendre la parole. Voici le discours que j'ai prononcé:
Droit opposable au logement, droit à la sécurité, droit au travail, notre société revendique aujourd'hui l'accès,
pour l'ensemble de nos concitoyens, à de nombreux droits. Mais le droit au DROIT est il aussi revendiqué ? N’est-il pas pourtant le plus fondamental d’entre tous ? N'est-il pas la base première
de notre « vivre ensemble » ? Ma réponse est oui, et voilà pourquoi il me paraît essentiel qu'il s'inscrive dans l'élaboration de nos politiques
publique.
C’est une loi de 91 qui prévoit la création d’un conseil d’aide juridique et d’accès au droit (CDAJ à
l’époque) dans chaque département sous la forme d’un établissement public entre l’institution
judiciaire, les professionnels du droit et les collectivités locales. De 91 à 98, on assiste à un développement lent et très inégal.
En 98, c’est après un débat au sein de la justice que la loi du 10 décembre 98 est votée. Les 6 départements de la Région Provence
Alpes Côte d'Azur sont maintenant pourvus d’un CDAD auquel nous sommes associés.
Cinq objectifs me paraissent résumer la pertinence d’un CDAD et marquer, dans le même temps une volonté
politique:
- Apporter une réponse à l’évolution et à la complexité du droit français comme mode de
régulation de la société, alors que la culture juridique de nos concitoyens est assez défaillante en la matière ; par un clin d’œil j’insisterai pour mettre au premier rang les élus, en tout
cas, nous sommes nombreux à devoir bénéficier de cours de rattrapage.
- Apporter à nos concitoyens des
réponses concrètes, et c'est bien le moins en France, patrie des droits de l'Homme
- Savoir s’adapter
à la montée des individualismes et au recul de l’État providence.
- Affirmer la citoyenneté, qui se
décline en droits et devoir.
- Développer la proximité.
Ces notions de justice et de proximité sont peut-être antinomiques. En effet, la justice s’inscrit par nature dans une symbolique d’éloignement du citoyen. De plus, le Droit se fait plus
technique, plus complexe, il est étanche à la compréhension du plus grand nombre. Enfin, le rendu de justice est individuel et ne constitue bien sûr pas en soi une politique générale.
Néanmoins deux phénomènes conduisent aujourd'hui au rapprochement de l’institution judiciaire avec les citoyens
:
- D’une part, l’augmentation de la délinquance ces 15 dernières années, nécessite en réponse une
forte présence judiciaire pour assurer la paix publique.
- D’autre part, une très forte demande de
justice avec un recours au juge quasi systématique.
Il y a une quinzaine d’années la justice de proximité s’est construite autour de quatre idées
:
- Un rapprochement spatial ou comment diminuer l’éloignement physique des citoyens des lieux de
justice, les tribunaux d’instance constituant alors un premier maillage, quelque peu oublié.
- Un
rapprochement relationnel entre les citoyens et l’institution judiciaire.
- Un rapprochement temporel
en rendant la justice plus rapidement, alors que l’exigence de sérénité et le manque de moyens ont eu tendance à rallonger les délais.
- Un rapprochement social où comment passer de l’incantation à la réalisation effective de l’accès au droit dans des lieux équipés en
moyens et personnels.
Mais la demande de droit et de Justice est-elle une demande de réponse judiciaire dans ses formes traditionnelles ?
Rien n’est moins sûr.
La demande de nos concitoyens vis à vis de la Justice est immense.
En République c’est évidemment une aspiration légitime. De ce fait, les Français peuvent reprocher parfois à la Justice sa lenteur, son archaïsme, ses faibles capacités d'écoute. …..et
pourtant la confiance qu'on lui fait est immense. On attend d'elle qu'elle réponde à des situations particulières, mais aussi, parfois, à de grands débats de société. On attend, surtout, qu'elle
soit équitable, et qu'elle fasse mentir l'opinion qu'en avait La Fontaine : « Selon que vous
serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
La demande de connaissance et de reconnaissance de ses droits constitue donc pour chacun un besoin. L’accès au droit
est un principe essentiel de notre pacte républicain, parce qu'il est la conséquence du principe d'égalité et qu'il participe de la dignité humaine.
La régulation par le droit constitue, bien sûr, un grand progrès, car si les conflits ne se gèrent pas à travers le
droit, ils le seront par l'utilisation inégalitaire de la force, de l'argent, du savoir ou de l'information. Cela induit, bien sûr, une justice nécessairement indépendante. Mais le juge ne doit pas être l'unique
régulateur de tous les dysfonctionnements sociaux.
Or, comme les mécanismes de régulation sociale se grippent, les médiations naturelles, dans les familles, à l'école,
dans les quartiers, fonctionnent de plus en plus difficilement. La Justice est alors appelée à l'aide et gère des questions qui n'auraient pas dû parvenir jusqu'à elle.
La pertinence des outils de proximité
Si le Droit régule les rapports sociaux, son accessibilité pour tous s’impose. C'est dans cet objectif que le Ministère
de la Justice et la Région – à travers la convention de partenariat - ont recherché ensemble la création ou la consolidation des réseaux judiciaires de proximité, principalement des MJD et des
points d’accès au Droit. Ils ont souhaité ainsi traduire leur volonté de conduire une politique publique cohérente en la matière.
Cette démarche s’est révélée particulièrement innovante quant à la mobilisation et la mise en synergie des trois
administrations de la Justice, qui sans porter atteinte à l'action régalienne de l'Etat, a permis la mise en œuvre et l’expérimentation progressive d’un ensemble de réponses bien adaptées au
besoin des territoires.
En période de tension budgétaire, le croisement des financements apporte un volume de moyens permettant à travers
l’action de l’Etat et des collectivités et de ses partenaires (notamment le tissu associatif) de
renforcer l’efficacité des actions sur le territoire.
Dans le domaine de l’accès au droit, la mise en place d’un réseau de structures de proximité (maisons de justice et
du droit, antennes de justice et de médiation, etc.) permet d’apporter une réponse mieux adaptée aux besoins croissants d’un public en difficulté. Les interventions en milieu scolaire se
multiplient également tendant à développer le travail sur la prévention de la délinquance.
L’aide aux victimes permet une prise en charge rapide de personnes très souvent démunies. Indépendamment d’une aide
psychologique susceptible d’être apportée par des structures spécialisées, les victimes peuvent également faire l’objet d’une prise en charge plus complète (aide logistique, conseils divers) dès
la survenance du sinistre. A cet égard, la création des deux SAVU (service d’aide aux victimes en urgence) sur les Bouches du Rhône est significative d’une forte volonté partenariale de concevoir
des dispositifs en réponse à des enjeux de territoire.
Les médiations civile et pénale permettent aux auteurs de réparer l’acte commis et aux victimes d’être partie
prenante de la résolution d’un problème.
Les mineurs en grande difficulté d’insertion, parfois déscolarisés, sont amenés à fréquenter chaque jour un plateau
d’insertion où se retrouvent des jeunes confiés à la Protection Judiciaire de la Jeunesse et d’autres venant des missions locales, et ce dans les quatre départements prioritaires (Alpes Maritimes
– Bouches-du-Rhône – Var - Vaucluse). Des apprentissages élémentaires (lire, écrire, compter) sont mis en place, ainsi que des apprentissages sociaux tels que le respect de l’autre, la
ponctualité, la politesse, l’hygiène et la propreté.
Le travail sur l’autorité parentale est aussi fortement présent sur les territoires des Bouches-du-Rhône et du
Var.
Des effets structurants
La convention « Justice/Région » a fait preuve d’une dynamique de développement des réponses judiciaires
qui mérite d’être consolidée et encore améliorée.
Elle permet à la justice d’augmenter la capacité d’intervention des organismes relais auxquels elle confie une partie
de ses missions : les Maisons de la Justice – les antennes de justice et de médiation – les associations d’aide aux victimes, les associations habilitées à mettre en œuvre les décisions des
magistrats de l’enfance, les associations de réinsertion et de prévention de la délinquance.
De ce fait, le public atteint est à la fois plus large et mieux pris en charge. On observe notamment la prise en
charge de jeunes qui ne « tenaient » pas dans d’autres dispositifs. Des actions voient le jour, qui n’aurait pu être envisagées en l’absence de ce partenariat. Elles sont consistantes,
denses en exigences éducatives et en contribution à la réponse judiciaire. Des activités culturelles, sociales, d’éducation populaire « traditionnelles » incorporent désormais la
« pédagogie du Droit ».
À ce titre, cette convention « organise » également la rencontre de la justice avec les enjeux
territoriaux. Elle contribue à faire comprendre la manifestation de la loi aux justiciables, d’une certaine manière elle peut permettre de réintroduire de l’humanité là où la violence des désordres sociaux, de l’isolement carcéral, l’exclusion résidentielle ou la
discrimination raciale la mettent à mal. A l’instar des CCPD, puis des C.L.S.P.D qui ont rapproché le policier et l’éducateur, ce partenariat relie le juge, l’élu, l’éducateur et le travailleur
social.
Par l’entremise de la démarche, les élus portent la préoccupation des citoyens auprès de l’institution
judiciaire.
En effet, celle-ci, par trop centré sur l’application de la loi, l’organisation de la réponse judiciaire, la prise en
charge des personnes sous main de justice et de leur environnement immédiat, ne peut sans stimulation, se tourner naturellement vers la nouvelle demande sociale de sécurité qui s’ajoute à la demande de protection traditionnelle
(sociale, juridique, économique).
En contractant avec l’Institution judiciaire, les élus régionaux, introduisent cette « revendication
populaire » dans les questions à prendre en compte. Ils montrent qu’ils y apportent une réponse faite de droits, d’obligations et d’aides, et qui ne se réduit pas à l’éloignement des auteurs
ou à leur exclusion.
Ils contribuent ainsi à ce que les citoyens de la Région se réapproprient la justice tant dans sa valeur, « ce
qui est juste », que dans son objectif, « que justice soit faite », et la relégitiment parce qu’elle leur est plus proche.
De plus, et lorsque les partenariats et les moyens le permettent, les CDAD peuvent mettre en œuvre des permanences
spécialisées afin de répondre aux besoins spécifiques des publics en difficulté (droit de la nationalité, droit des mineurs, droit des étrangers, habitat et prévention des expulsions locatives…).
De même, des Points d’Accès au Droit (PAD) sont mis en œuvre pour les personnes incarcérées.
En renouvelant la convention qui les lie jusque fin 2012, la Justice et la Région démontrent l’importance de l’accès
au droit et à la Justice pour les citoyens de nos territoires.
Je voudrais conclure en remerciant l'ensemble des acteurs professionnels de la Justice qu’ils soient fonctionnaires,
professions libérales ou salariés d’associations.
Permettez moi enfin, au nom du Président Michel Vauzelle, de saluer particulièrement les chefs de Cour, de
Juridictions, les Barreaux, et puis, mes collègues élus.