20 juillet 2014 7 20 /07 /juillet /2014 11:08

J'étais ce matin à la Fondation du camp des Milles, pour la journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux « Justes » de France.

Cette commémoration est toujours empreinte d'émotion, mais surtout de réflexion consciente sur nos actes d'aujourd'hui.

J'ai eu l'honneur de prendre la parole après le témoignage très fort du fils d'Alain Pierret, un sapeur pompier, juste parmi les justes, ayant participé à la rafle du Vel' d'Hiv', et le très beau discours de Bernard Hagai, représentant de la communauté juive d'Aix-en-Provence.

Vous trouverez ci-dessous copie du discours que j'ai prononcé :

Primo Levi écrivait dans “Si c’est un homme” « Les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux. Ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires ».
Il pointait l’indifférence comme premier échelon de la haine, le premier maillon de la déshumanisation.
Il avait raison.

Nous commémorons aujourd'hui les victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français. Mais cette commémoration ne peut être une simple expiation ponctuelle. Car si ces crimes et cette indifférence ne devraient plus arriver, ils arrivent encore.

Laurent Mauvignier raconte dans ce magnifique livre “Ce que j’appelle oubli” l’histoire d’un homme assassiné pour avoir bu une canette de bière dans un magasin.

Écoutez le : « tous ils ont baissé les yeux parce qu'ils ont du travail qui les attend et une pelouse à tondre ou des trains à prendre, des enfants qu'il faut aller chercher à la sortie de l'école et aussi parce qu'ils espèrent échapper à leur propre misère, ce que j'appelle misère, à tous les malheurs quand sur le chemin c'est un type comme lui qu'ils croisent, nu comme un cauchemar, son visage crasseux éclairé par leurs phares en lieu et place des animaux à la sortie d'un bois, sur les talus - et tous baissent les yeux ou les détournent pour conjurer la poisse qui se colle à d'autres ».

Indifférence.

Il y a quelques jours, Darius, un jeune Rom de 16 ans a été retrouvé agonisant dans un chariot. Il avait été lynché.

« Si un habitant commet l’irréparable je le soutiendrai », « Ce qui est presque dommage, c’est qu’on ait appelé trop tôt les secours. », « Je regrette que Hitler n’ai pas tué assez de Tziganes », « Tout ça est à scolariser, tout ça est à soigner, tout ça est à loger. C’est ça le problème »

Ces propos ont été tenus par des maires dans les deux dernières années.

Comme le ministre de l’Intérieur a pu le rappeler dernièrement, en évoquant les manifestations intervenues à Paris le 13 juillet dernier, qui montrent tristement que l’antisémitisme est encore vivace, je dis que la République ne peut tolérer la haine. Je vais même plus loin : la République ne souffre pas l’indifférence.

Si nous fermons les yeux sur la violence des images comparant une ministre à un singe, si nous nous taisons face à ce que certains voudraient faire passer pour de l’humour quand il ne s’agit que de haine de l’autre, si nous ne répliquons pas aux propos vantant la préférence nationale et niant par là même la fraternité tellement importante dans notre devise, si chacun d’entre nous, et en premier lieu les élus, n’oppose que son indifférence à la légitimité montante du racisme et de l’antisémitisme, alors nous nourrissons la bête immonde.

Il ne suffit plus de se souvenir de ces personnes, femmes, hommes, enfants, assassinés monstrueusement. Il ne suffit plus de les pleurer comme on pleure des ombres. Il nous faut résister à la spirale en cours, qui court un peu plus chaque jour vers l’irréparable. Nous devons enfin prendre conscience que les noms des enfants égrenés, qu’il est toujours terrible d’entendre ici, ces noms ont aussi un visage aujourd’hui.

Certains ont pu survivre. Darius, 16 ans. D’autres sont morts : Brahim, 29 ans. Gabriel, 3 ans. Arieh, 6 ans. Myriam 8 ans.

D’autres, encore, mourront.

Où regardons-nous ?

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