Inutile de le nier : avec ces élections, présidentielles comme législatives, la gauche prend une claque monumentale. Le quinquennat de Hollande a suscité un tel rejet que le PS ne s’en relèvera probablement pas.
Le désormais président Macron a mené campagne dans le « ni-ni », en assurant dépasser les vieux clivages gauche-droite, et force est de constater qu’il y avait une attente pour cela. Je crois qu’il y aura sous peu aussi beaucoup de déception, parce que nous voyons aujourd’hui avec la composition du gouvernement et les premières mesures portées que cet argument de campagne n’était qu’un leurre. Le « dépassement des clivages » ça n’existe pas. Macron est un homme de droite. (Mais au fond, vous qui avez voté pour lui, ne le saviez-vous pas ?) Il a gagné. Et largement. Certes dans un contexte très particulier, mais il ne sert à rien de nier les évidences : il a gagné parce que les Français.e.s veulent « changer de système ». En cela ils ne sont pas seuls : de Podemos à Corbyn, en passant par Trump ou Syriza les formes en sont diverses mais la volonté de changement a le même cœur. La gauche Française n’a pas su, ne sait pas porter cette espérance. Pas encore, du moins. Il a gagné aussi parce que les Français.e.s, en réalité, voulaient un projet de droite. Comment expliquer, sinon, ces milliers d’électeurs de gauche votant Juppé à la primaire de la droite ? Comment expliquer que tous, nous avions intégré que la droite allait gagner ces élections présidentielles, et qu’il ne s’agissait plus, dès lors, que de savoir si c’était une droite conservatrice, une droite libérale, une droite humaniste, une droite sociale ou un mélange de tout cela qui présiderait au destin de la France ? Au 1er tour souvenez-vous : Macron, Le Pen, FIllon. Les droites dans toutes ses compositions ou presque. Et le moins clivant en tête. Il a gagné enfin parce que les Français.e.s voulaient un projet clair et un Président qui fasse ce qu’il dit. Et c'est le grand paradoxe de cette élection. Durant des semaines, nous avons assisté à la création du personnage Macron. Le programme ne venait pas mais il demandait d’attendre, et les quelques bribes lâchées suffisaient à faire patienter les fans, qui lui pardonnaient tout et pardonnent encore tout, de l’affaire Ferrand à Bayrou mettant la pression à Radio France. Une fois élu, Macron ne s’est pas caché derrière son petit doigt. La couleur a été annoncée dès la composition du gouvernement. Les mesures sont tombées dès avant les législatives : loi travail, sécurité sociale en danger, éducation nationale reléguée loin des priorités, augmentation de la CSG des retraités, suppression de l’ISF… Rien n’est caché aux Français.e.s qui savent donc à quoi s’attendre avec une assemblée nationale très majoritairement acquise à Macron.
Une majorité des Français.e.s est opposée à la loi travail mais plébiscite celui qui va en renforcer les aspects les plus durs… La démocratie est faite de ces paradoxes. J’ai renoncé à les expliquer, je les constate simplement.
Alors hier nous avons battu des records d’abstention.
Mais enfin, ouvrons les yeux ! Cette abstention a un sens, qu’il faut entendre : Macron n'a pas été élu par hasard. Mais l'adhésion n'est pas massive, c'est le moins qu'on puisse dire. Seulement, aujourd’hui, qu’ils aient ou non glissé un bulletin « Macron » lors de la présidentielle, les Français veulent lui donner pouvoir de faire. En votant pour ses candidat.e.s (il garde près de 80% de son électorat) ou en n’allant pas voter (la moitié des électeurs FN et FI se sont abstenus, plus de 40% des électeurs de Hamon…)
Une chèvre avec l’étiquette « Macron » avait donc plus de chance de finir en tête de ce premier tour qu’une femme ou un homme ayant prouvé son expérience, ses compétences, ses qualités, son engagement. L’estampille « Macron » fait office d’adoubement et s’il peut être réjouissant de voir l’Assemblée Nationale profondément renouvelée, je m’inquiète pourtant que l’on vote sur une simple étiquette, sans accorder la moindre importance aux personnes, niant en cela que chacune et chacun, au-delà d’un engagement politique forcément collectif a une personnalité, un parcours, des idées et qu’être député.e c’est faire la loi, réfléchir en profondeur aux problématiques de notre société, mais aussi être en lien avec le territoire de sa circonscription. Tout cela ne peut se faire en laissant les pleins pouvoirs à un seul homme qui déciderait de la direction dans laquelle doivent aller toutes choses, et c’est pourtant bien ce qui risque d’advenir.
Permettez-moi enfin quelques mots sur la 11eme circonscription. La gauche a disparu du second tour. Comme partout, la vague Macron est passée. Comme partout, l’abstention a progressé. Près de 4000 inscrits en plus, 7001 votes exprimés en moins. Nous ne dérogeons en rien à la moyenne nationale… Le candidat MODEM adoubé par Macron arrive sans surprise en tête avec 14495 voix. (J’en avais obtenu 16787 en 2012) Christian Kert qui obtenait 15696 voix en 2012 chute de façon spectaculaire puisqu’il n’obtient plus que 8041 suffrages. Le FN perd 2977 voix. Quant à la gauche, si les scores cumulés de la FI et du PC donnent un gain de voix (4131 pour Magro (Front de Gauche) en 2012, 6938 pour Hubert (FI) + Molino (PC) en 2017) cela ne rattrape en rien la dégringolade abyssale que nous subissons puisque le candidat investi par EELV et le PS n’obtient que 1410 voix. Je n’accable pas Dorian Hispa. Je regrette qu’il ait mené campagne sans dire clairement qu’il était le candidat issu d’un accord entre le PS et EELV car je pense qu’il aurait eu à gagner à ne pas brouiller le message auprès des électeurs. Mais à l’image d’autres circonscriptions c’est à un rejet massif du PS que nous avons assisté autant qu’à un plébiscite pour le Président de la République. Seule l’étiquette a compté. Les résultats d’Axelle Lemaire, de Karine Berger, de Ségolène Neuville, de Najat Vallaud Belkacem, d’Aurélie Filippetti, de Benoît Hamon et de tant d’autres encore sont injustes au regard du travail et des qualités de ces personnes.
Dans les Bouches-du-Rhône, aucun des sortants PS n’est présent au second tour. Pourtant Jean-David Ciot a été un bon député durant 5 ans. Je le dis d’autant plus volontiers que cela n’étonnera personne, nous ne sommes pas toujours d’accord en terme de ligne politique. Mais je l’ai vu travailler, servir la nation et ce territoire avec intelligence et engagement. Dans un autre registre, je pense aussi à Patrick Mennucci qui ne sera pas non plus au second tour.
Une élection fait des vainqueurs et des vaincus, et lorsque l’on s’engage en politique on connaît les risques. Il n’empêche que chacun.e de ces candidat.e.s est une personne, et j’ai une pensée pour elles et eux aujourd’hui.
Les Français.e.s ont souhaité voir advenir une autre Assemblée, et cela passait par ce « dégagisme » (que ce mot est laid…) C’est leur choix, et il est éminemment respectable. Qu’on me comprenne bien : je ne suis pas amère. Mais je m’inquiète de tant de pouvoirs laissés à un seul parti de droite.
La gauche est aujourd’hui un champ de ruines. Paradoxalement, c’est peut-être la meilleure perspective que nous ayons eue depuis longtemps. Mitterrand écrivait dans la paille et le grain en 1975 « Limiter notre critique au seul aspect économique du système en cours réduirait par trop notre capacité de convaincre. Au socialisme, il faut une morale. Un projet de société qui se passerait d’un projet de civilisation buterait vite sur l’impossible. L’amour et la beauté, la liberté et le savoir sont toujours à réinventer. »
Nous avons oublié que notre engagement était d’abord celui du changement de civilisation. A nous, aujourd’hui, d’imaginer la gauche et de la faire advenir.